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A.N.I.M.A.L.S. est un recueil de nouvelles

consacré à l'animal littéraire comme possibilité de décentrement de l'auteur

Évoquant le chevreuil en fuite devant son véhicule sur une route de campagne, et la pensée qui l'a ému jusqu'aux larmes, Jean-Christophe Bailly écrit « c'était la pensée qu'il n'y a pas de règne, ni de l'homme ni de la bête, mais seulement des passages, des souverainetés furtives, des occasions, des fuites, des rencontres. Le chevreuil était dans sa nuit et moi dans la mienne ». Cette rencontre furtive résume notre incapacité à entrer en communication véritable avec cet autre qu'est l'animal. Notre vanité de nous croire maîtres du monde, quand nous ne l'habitons que pour quelques poussières de secondes à l'échelle des temps géologiques, avant de nous éteindre comme tant d'espèces avant nous. D'où l'idée de chercher, avec la science, à accéder à une sorte de sens commun. De scruter, avec la littérature, nos tentatives de donner une forme à ces points de contact possibles. 

Le recueil est composé de 6 nouvelles : C.H.I.E.N., H.O.M.A.R.D., G.E.C.K.O., W.A.C.K., M.A.N.T.E., A.L.B.A.T.R.O.S. 

C.H.I.E.N.

Le chien de Miss Bloom était laid à mourir. La légende voulait que la mère de Miss Bloom, une nonagénaire présentant tous les signes de la coquetterie et donc de la résistance à l’âge, avait eu un malaise en apercevant l'animal pour la première fois. Elle se tenait debout dans son salon de Columbus Avenue, supervisant le travail de la bonne irlandaise, en train de polir le parquet à la main. Miss Bloom s’était présentée, Corben sous le bras...

Quand la mère remarqua le ballot au visage froissé plaqué sous l’aisselle de sa fille, une douleur traversa sa poitrine. Elle émit un léger cri et s’effondra. La bonne lâcha le polisseur et alla quérir les secours. Corben s’échappa de l’étreinte de sa maîtresse, sauta sur le parquet, ses courtes pattes amortissant le choc, et alla renifler le visage inerte. Il s’en désintéressa aussitôt, rebuté par l’odeur prégnante de cosmétiques. Miss Bloom, sobrement agenouillée auprès de sa mère, tapota la main lestée de bagues à poison et des alliances de trois mariages, les premières expliquant l’échec des seconds. Quelques minutes plus tard, le médecin de famille signait le certificat de décès.

 

extrait de "C.H.I.E.N.", une nouvelle du recueil A.N.I.M.A.L.S.

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